samedi 14 juin 2008

Billeterie

MEETING NATIONAL
PALAIS DES BEAUX ARTS DE BRUXELLES
SAMEDI 14 JUIN de 10h00 à 18h00


> Bozar-tickets

€ 5,00: étudiants
€ 10,00: Catégorie de base

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TICKETS PAR TÉLÉPHONE
+32 (0)2 507 82 00
Du lundi au samedi, de 09:00 à 19:00
Paiement: par carte de crédit ou virement bancaire au 210-0060441-62
* Frais de billetterie de € 3,00 par commande

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* Frais de billetterie de € 3,00 par commande

jeudi 12 juin 2008

Opération hors normes : Réjane Peigny

Réjane Peigny, Ecrivain
Directrice de collection "Le Grand Miroir"
Une des coordinatrice du Réseau Kalame www.kalame.be (Passa Porta)

Je revendique l’hors-normité

Un numéro sur un dossier, une théorie

On le critique mais sur quel terrain ?

On le stigmatise pour mieux le dominer

On le mesure, on le Q.Ize et autres tests

On l’objectivise

On en oublie de l’écouter

Le hors norme est mis à part, amoindri

On a peur qu’il contagionne, qu’il contamine

On a peur qu’on compatisse

Alors on le rabotte, on l’enferme, on le juge

On le condamne, on le dépiste, on l’espionne

Les fenêtres s’en donnent à coeur joie

Les rumeurs font la nouba

Ignorance...

Mais vivre hors norme, ça peut être un choix

Merci !

Le choix d’exister

De se sentir, de se savoir exister

D’être en vie

Ça donne ce sentiment d’identité

Qui permet d’aimer

Vivre ouvert à l’autre comme il est

Ça enrichit

Ça complémentarise

Mais ça demande un peu de recul

Et puis de la curiosité, cette méconnue qualité

A quoi ça sert

La norme

Si c’est pour la suivre

Hein ?

Réjane Peigny

La presse prend la mesure des enjeux


Ce jeudi matin, sur Radio Nostalgie un commentaire appuyé de l'article paru dans la Libre de ce même jour "Détecter les graines de délinquants"

Ecouter la séquence sur radio nostalgie : http://grandmorning.nostalgie.be/presse-detecter-les-futurs-delinquants/

Lire l'article dans la Libre Belgique :

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/427328/detecter-les-graines-de-delinquants.html


mercredi 11 juin 2008

Il ne faut pas empêcher la vérité de sortir de la bouche des enfants !, par Dr Sylvain Gross et Dr Jean-Pierre Lebrun

Le 14 juin se tiendra au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, à l’appel de certaines associations regroupant les dits praticiens de l’écoute, un meeting contre la bio-domestication de l’humain. Sans pouvoir participer directement à cette manifestation, il nous semble néanmoins opportun de rappeler ce que signifie que les praticiens de la dite santé mentale doivent organiser un tel événement pour faire entendre leur inquiétude.

Depuis quelques années, nous assistons au passage subrepticement organisé mais de plus en plus évident, d’une pratique psy-médico-sociale centrée sur le malaise du sujet à une pratique gestionnaire centrée sur le contrôle de ses actes, conduites et comportements.

L’exemple des troubles de la conduite de l’enfant est à cet égard éloquent : nous assistons en effet à une montée en épingle des symptômes tels que l’hyperactivité, la turbulence, voire la violence chez les jeunes enfants et cela parfois même avant l’âge de trois ans. En France une recherche de l’Inserm, organe national d’expertise et de recherche, a ainsi été effectuée et la publication de ses résultats a entraîné une pétition largement signée sous le nom de « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ! ». Depuis, cette recherche a été désavouée par le ministre de la santé de l’époque et l’Inserm a reconnu sa partialité dans l’expertise.

Un tel avatar, s’il a pu cette fois être contenu, n’en est pas moins significatif d’un nouveau mode d’organisation de la santé mentale qui, loin d’être respectueux des personnes, en arrive plutôt à les considérer comme des ressources humaines qu’il s’agit de gérer au mieux selon les critères de l’entreprise, et cela avec l’appui de la technicité moderne. S’en suit une exigence de normalité de plus en plus grande pour faire face à ce qui semble être l’incapacité de nos sociétés d’encore faire que s’intériorise une norme.

Soulignons qu’un tel glissement implique et légitime un investissement nouveau de la part de l’Etat dans les territoires de l’intime sous le couvert d’une politique progressiste de prévention en santé mentale. Dans un tel dispositif, la logique sécuritaire de l’expertise généralisée des actes et des conduites s’accorde parfaitement avec la logique gestionnaire du corps social. Afin de protéger la société, il faut mettre en place des dispositifs sécuritaires de prévention et de gestion des risques. Pour cela, l’expertise utilise l’évaluation comptable, quantitative, et recommande les « bonnes pratiques » qu’elle peut alors encadrer. Chaque professionnel de la santé est alors prié de se transformer en agent de surveillance d’un hygiénisme du bien-être via la médicalisation de l’existence. Voilà pourquoi le symptôme dont un sujet peut souffrir devient alors un trouble du comportement qu’il s’agit désormais de réguler et de contrôler. Le résultat est simple : la disparition du sujet.

Ceux qu’on appelle aujourd’hui les praticiens de la santé mentale - dénomination qui devrait déjà être questionnée, car qu’est ce que la santé mentale si, par ce terme, on veut désigner autre chose qu’une normalité débarrassée de toute anomalie ? - ne peuvent dès lors qu’être inquiets. De plus en plus confrontés aux effets d’une société qui ne se gouverne plus que comme une entreprise, ils se voient dans le même mouvement confiés à éponger les souffrances que cette stratégie purement gestionnaire engendre et conviés à réguler leurs interventions à l’instar des pratiques managériales. De plus, lorsqu’ils se mettent à relever ce paradoxe, voire à mettre en évidence le conflit d’intérêts que cette évaluation engendre, ils se voient purement et simplement niés dans la pertinence de leurs propos, puisque ceux-ci ne relèvent pas du discours ambiant de la dite entreprise et de sa novlangue néolibérale.


Jusqu’où faudra-t-il aller pour faire entendre que l’ensemble des praticiens de la relation et de la parole ne constitue pas le Département des Ressources Humaines de l’entreprise Société. Mais qu’en revanche, à y prêter un peu d’attention, il est plutôt, comme le disait le psychanalyste Jacques Lacan, le poumon artificiel grâce à quoi on essaye d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans le parler pour que l’histoire continue. Car effectivement, ce dont les autorités politiques devraient prendre la mesure, c’est qu’à force d’exiger des praticiens de l’écoute qu’ils se transforment en chiens de garde de l’évaluation, voire de leur auto-évaluation, à force de les contraindre à faire entrer leurs compétences dans des fiches techniques, à force de les soumettre à répondre aux enquêtes de satisfaction des usagers, à force de les faire entrer dans la tâche de remplir les questionnaires, à force de multiplier les actes qui permettent aux statisticiens de statuer sur la légitimité de leur travail, à force de les faire contrôler par des personnes qui parfois ne pensent plus qu’en chiffres comptables, à force de les inciter à homogénéiser leurs pratiques, à force de les identifier comme chargés de la gestion des conflits ou du contrôle des affects violents, en un mot comme en cent, à force de nier l’enjeu de ce qui se passe, ces autorités politiques organisent la destruction systématique de ce qui reste d’espaces verts qui permettent de respirer. Simplement parce qu’il ne restera bientôt plus de temps, ni d’espace, ni surtout de désir, pour que d’aucuns assument cette fonction, tant ils seront astreints à des tâches de contrôle et de gestion.


Ce sont ces exigences qui inquiètent les gens de terrain, car elles rendent à ceux-ci la tâche impossible. Or, ils voient de jour en jour se conjoindre l’augmentation des appels qui leur sont adressés et celle des contraintes qui leur sont infligées. C’est pourtant quand ils tiennent leur place - et leur écoute - qu’ils donnent leur dignité de sujet à ceux qui sont en difficulté.


A cet égard, l’exemple de l’enfant hyperkinétique (hyperactif) atteint d’un déficit attentionnel est des plus parlant. Ce symptôme en nette augmentation est classé dans les troubles de la conduite dans la classification du DSM IV, ce grand organigramme de diagnostic en psychiatrie. A un tel trouble, supposé biologique, existerait un remède : une substance chimique psychostimulante commercialisée chez nous sous le nom de Rilatine. Le schéma de traitement est donc tout tracé et l’ordinateur pourra même bientôt se substituer au médecin pour assurer la prescription.


L’hyperactivité de l’enfant ne dérange que quand celui-ci n’arrive pas à faire attention, à se concentrer pour l’apprentissage. C’est donc souvent au sein de son milieu scolaire que l’enfant sera repéré et désigné d’hyperkinétique. Les parents seront convoqués et invités à consulter un neuropédiatre ou un pédopsychiatre. L’enfant sera alors le plus souvent “médiqué” et, grâce au produit, réintégré dans la classe. Apparemment, quoi de plus justifié ? Au point même qu’au Mexique, faute de médecins scolaires en nombre suffisant, ce sont les instituteurs qui aujourd’hui distribuent la médication !


Mais demandons-nous quand même quelle vérité, derrière ce symptôme ? Que veut-il signifier dans la relation de l’enfant avec ses proches, dans l’élaboration de ses pulsions ? Qu’est ce qui fait ne plus tenir en place cet enfant ? Serait-ce de ne plus pouvoir être assigné sans danger à la sienne ? Quelle influence a sur l’attention de l’enfant le zapping à tout va qu’autorise l’usage de la télévision aujourd’hui, et cela dès le plus jeune âge1 ? A vouloir transformer le symptôme en trouble de la conduite, on fait de la souffrance une menace, et de la surdité à celle-ci un remède !


L’exemple du syndrome hyperkinétique ne montre-t-il pas que l’approche neurobiologique, si elle évacue la dimension de la vérité, ne relève pas d’un progrès dans l’approche du soin et de la thérapeutique, mais bien plutôt d’une remise en ordre par ceux qui voudraient que gouverner, éduquer et guérir soient des tâches enfin efficaces et donc désormais débarrassées de l’impossible qui pourtant les caractérise : pas de gouvernement qui nous rende tous heureux, pas d’éducation qui produise l’enfant qu’elle souhaite, pas de médecine qui triomphe de la mort.


C’est parce qu’aujourd’hui, les praticiens de l’écoute voient qu’il n’est plus fait de place à ces vérités qu’ils sont inquiets. Ils ne veulent pas de la mise en œuvre d’une telle bio-psycho-politique qui prendrait des décisions au nom d’une soi-disant norme « naturelle ». Ils revendiquent que l’espace humain est d’abord celui où une parole est possible, celui où on est à l’écoute des sujets qui pensent, souffrent, parlent, même s’ils n’y arrivent pas.


Ils veulent, comme le dit René Char, un espace d’inattendus et de métamorphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le maintien. Ils veulent qu’on n’empêche pas la vérité de sortir de la bouche des enfants !


Dr Sylvain Gross et Dr Jean-Pierre Lebrun.

Pour le bureau du groupe POPP (psychiatres d’orientation psychodynamique et psychanalytique)



1 CF à ce propos la dernière publication de la Coordination de l’aide aux victimes de maltraitance, Yapaka.be, Serge Tisseron, Les dangers de la télé pour les bébés. (Publication qui peut être obtenue en s’adressant à yapaka@yapaka.be)

dimanche 8 juin 2008

Lancement de l'opération Hors Normes, par Charlotte Laplace

"Opération hors normes" prend de l'ampleur et bientôt les textes de plus de 40 écrivains belges seront publiés ici, et ensuite des centaines d'autres prêts à prendre la plume.

Chacun vient témoigner à partir d'une fiction ou "d'un vrai témoignage" de ce qu'est ou serait pour lui sa rencontre avec une norme qui viserait à extraire le plus intime de son être au point de mortifier le battement de son coeur...
Chacun peut dire en quoi il se sent visé quant on parle de troubles de la conduite, chacun peut dire en quoi il ne veut pas de ce traitement là !


L'hypothèse de départ est celle-ci : si nous sommes prêt à accepter que la part la plus intime de notre être (de nos enfants) soit cataloguée, standardisée "c'est que vivre fait souffrir", on vend notre âme au diable au moment où c'est trop dur...
C'est pour cela que les artistes peuvent jouer une part essentielle dans ce débat, en (re)donnant goût "à la condition humaine", au contingent, à la surprise, à des trucs bizarres, aux conversations insolites .... et rappellent surtout que nous ne voulons pas d'un monde où nos enfants deviennent synonymes de menaces plutôt que de promesses !

Charlotte Laplace

Cliquez sur ce lien pour obtenir tous les textes déjà publiés dans "opérations hors-normes"

Le Pharmakon d’Antigone, de Stefan Hertmans

Les ‘agrapta nomina’ ou lois non écrites qu’Antigone dit défendre contre l’univers rationnel du souverain Créon, sont le symbole du souvenir d’une relation aux hommes et à leurs valeurs, qui ne se laissera jamais entièrement saisir dans un code de règles établies. Le Non d’Antigone à un univers qui ne fait qu’adhérer à la version officielle des faits, est un refus de l’homme schématique, de l’homme prévisible, de l’homme défini par les lois de la casuistique, du déterminisme et de la causalité. Antigone s’oppose à un monde qui conçoit l’existence comme une chaîne d’actions et de réactions ; ce qu’elle défend, c’est une société où la place du mot non écrit, le mot de l’intimité et de la nuance, n’est pas refoulé au profit d’un faux universalisme. Si Antigone vivait à notre époque, elle s’opposerait aussi à une société qui adhère à un néo-darwinisme réduisant l’homme à une combinaison de gènes, de réactions chimiques et de schémas psychosomatiques. Parce qu’elle pressent que l’homme ne coïncide pas avec les lois qui le déterminent – que son sentiment de la vie, sa complexité et sa douleur d’exister ne peuvent se réduire à une liste de préceptes et pas davantage à une liste de prescriptions médicales -, elle rend hommage aux apports de l’ontologie. Parce qu’elle sait que ce qui compte vraiment dans l’existence humaine ne peut s’écrire, elle témoigne de la béance qui sans cesse nous sépare de l’existence que nous menons ; elle témoigne d’une conception tragique de l’existence, où le cœur de ce qui nous lie à l’autre et à nous-mêmes échappera à jamais. C’est précisément parce qu’elle comprend cette différence ontologique, parce qu’à l’encontre de l’univers de Créon, elle comprend que les ‘agrapta nomina’ gouvernent la vie réelle des hommes, qu’elle répète son Non jusque dans la mort. Antigone ne croit pas à la catharsis facile et spectaculaire que l’univers rationnel lui fait miroiter comme une monnaie facile pour acheter une Aufhebung hégélienne ; elle ne croit pas qu’un échange sans reste soit possible, elle sait que la mise humaine est insoluble et elle ne tombe pas dans le piège d’une solution monnayable. C’est justement parce qu’elle continue à dire ‘non’ qu’elle assure le maintien du Logos ; son refus de négocier avec le volontarisme qui veut nous faire croire que la dette existentielle peut être monnayée, est un hommage au pouvoir infini de la parole. Son refus est l’affirmation extrême de l’existence en tant que valeur inéchangeable. En cela, Antigone vaut comme une icône ancienne de la psychanalyse, conçue comme un dialogue infini sur la différence ontologique qui imprime sa marque sur les hommes et qui n’offre aucune possibilité de catharsis ou d’échappatoire chimique, médicale ou de quelque ordre de détermination que ce soit.

Elle adhère à la loi non écrite qui dit qu’il y a un impossible à dire et que pour cette raison la répétition est infinie ; elle vénère la loi non écrite qui dit que le ‘non’ à la solution prescrite et à l’échange opportuniste est le devoir de celui qui comprend ce que la vie et le lien impliquent ; elle sait que la solution schématique ne guérit pas les hommes de ce que leur mémoire et leur intuition leur racontent ; bref, elle est le symbole du refus contemporain de troquer l’entretien contre une pilule. Celui qui comprend de façon médicale le Logos de l’analysant envers son analyste, méconnaît la profondeur ontologique de l’échange impossible ; il méconnaît aussi la position ‘impossible’ de l’analyste, qui ne peut s’échanger contre celle d’un guérisseur omniscient. Celui qui réduit le ‘traitement’ de la blessure existentielle à un problème médical, et permet par là que les hommes au pouvoir, tels des Créons contemporains, réduisent l’existence à un échange schématique, celui-là conspire avec un ordre du monde qui refoule toujours davantage la vérité sous les illusions mécanicistes ; il a déjà trahi les lois non écrites qui forment précisément la spécificité humaine de l’homme. S’opposer à la médicalisation officielle de l’entretien le plus essentiel qu’un homme puisse avoir, est pour cette raison un ‘non’ au sens d’Antigone : c’est dire qu’il faut se référer à la douloureuse insolubilité si l’on veut défendre l’enjeu essentiel de l’existence humaine. Le pharmakon représenté par Antigone ne répond pas aux lois allopathiques ; il est inhérent à l’essence de l’existence humaine ; ce pharmakon coïncide avec les lois du Logos qui ne pourra jamais entièrement se dire ; c’est l’antipharmakon par excellence, qui contient le pharmakon indicible.

Stefan Hertmans,

avril 2005

(traduit du néerlandais par Anne Lysy)

Ma sale rencontre avec la norme, par Thomas Gunzig

Tout s'est passé la même semaine : le mercredi j'allais chez le petit libraire du haut de la rue pour lui acheter un canif qu'il me refusait sous prétexte qu'il fallait l'autorisation des parents (je suis rentré chez moi en pleurs, jetant sur le piano "Isabelle et le souffle du Dragon que je m'étais senti obligé d'acheter) et le vendredi j'avais rendez-vous au centre PMS, quelque part du côté de la rue haute, mais je ne suis pas certain, qui me diagnostiquait : "à problèmes".

Après ça, j'ai passé six ans de ma vie avec des tordus en tous genres, je passais les récrés tout seul sur un banc, à lire des trucs de science fiction, on me traitait de "f-f-f-f- fille" (les bègues étaient nombreux), mes anniversaires ressemblaient à une scène de "Vol au dessus d'un nid de coucou", enfin bref, je me fendais assez peu la poire.

Après ça, mes parents ont divorcé, on m'a mis à Decroly où tous les fils de médecins d'Uccle ou d'architectes d'Ixelles m'ont amèrement fait regretter le psychisme troublé de mes camardes de l'enseignement spécial.

Après ça le divorce de mes parents a assez mal tourné et on ne m'a plus acheté de vêtements pendant sept ans. J'ai changé d'école, je me baladais par tous les temps avec des bottes "Aigle" vertes et un pull à imprimés péruviens.

Avec les filles, ça ne marchait pas trop, elles étaient plutôt branchées Chipie et Chevignon. Si j'avais eu un rôle dans une série américaine, j'aurais été qualifié de "looser".

Après ça j'ai commencé à m'intéresser au cinéma bis, de genre, alternatif, enfin bref d'horreur et pour mes parents, ça a eu l'air de poser un problème et j'ai encore été voir un psy qui me demandait de lui dessiner mes rêves et qui me montrait l'aquarium hors de prix qu'il avait fini par se payer avec les honoraires que les parents de pauvres types comme moi lui versaient jour après jour.

Après ça mon père est allé en taule. Je m'étais dis que ça allait pouvoir faire un bel argument de drague mais on m'a fait comprendre que je ne devais en parler à personne alors j'en ai parlé à personne et les filles sont restées un problème.

Après ça mon père est rentré, tellement pas en forme que je n'osais plus inviter de copains à la maison.

Des années plus tard j'ai publié un premier livre un peu gore et quelqu'un m'a sorti : "l'écriture te fait du bien, ça te permet d'extérioriser les choses".

J'ai eu envie de lui pêter la gueule parce que pour moi l'écriture c'était surtout pour draguer.

Et puis je me suis rendu compte que les filles préféraient les musiciens.

Mais là, il était trop tard.

Thomas Gunzig

Lire "opération hors-normes" par Charlotte Laplace

samedi 7 juin 2008

Emeutes à Anderlecht, par Marie-Louise Meert

Forum Psy. Phénomènes de violences urbaines.

Le phénomène de violences urbaines (coups et blessures, vols, dégâts matériels) s’analyse de manière différente en fonction de la place que l’on occupe dans la cité, des représentations que l’on en a et des messages que l’on reçoit et adresse.

Comment parler de ce que révèle ce réel dans nos cités et y réagir ?

Dans le cas des émeutes à Anderlecht ce 23 mai 2008, des actes délictueux ont été commis par deux « clans » venus à un rendez-vous pour « se casser la gueule et en finir une fois pour toute ». Les forces de l’ordre les ont séparés pour éviter le pire. Reste les effets du côté des émeutiers, des citoyens et des responsables politiques.

Ces agressions, ces actes de violences et de vandalisme mettent à mal la vie dans la cité et insécurisent. A vif, ils interpellent l’Autre. Quels que soient leurs mobiles subjectifs et collectifs, que montrent-ils en occupant en nombre la voie publique et en choisissant de s’entretuer et de détruire ? Pourquoi l’usage de la parole est-il inopérant ?

Verra-t-on surgir un renforcement sécuritaire et la mise en place de dispositifs pour le dépistage précoce de la délinquance ou nous saisirons-nous de ces événements violents, dérangeant et inadmissibles, pour formuler l’urgence de la mise en place de lieux de débats entre la population, les différents secteurs du social (l’éducatif, le social, la santé mental, le culturel) et les pouvoirs publics ? Les malaises qui touchent la population sont nombreux et la problématique des moyens que l’on se donne pour œuvrer aussi. Ils invitent à y réagir en inventant de nouvelles formes de rencontre et de débat.

Marie-Louise Meert

mardi 3 juin 2008

Des livres d'enfants, par Véronique Servais

Plutôt la « marge » que la « marche »

Soit subvertir, déranger, émarger de cette soit disant bonne marche pour tous qui amène au pire, à ce que nous soyons tous conduits en rang et en silence, derrière des barreaux de prison, des grilles de fiches, des codes barres qui collent à la peau jusqu’à gaufrer.

Il y a quelques jours, Arthur, onze ans, vient de terminer la lecture d’un roman, « Le commando des Pièces-à-trou » (1). Ce livre raconte l’histoire, sous l’occupation, d’une bande de gamins dont les jeux ont pris la couleur de la résistance. Et Arthur m’a surprise en me lâchant, sans que je ne m’y attende, ce qu’il a retenu, soit cette réplique d’une fillette, vers la fin de cette guerre et du livre : « J’ai tué la mort. »

Présence de l’irréductible vitalité de ces enfants, Claire, Arthur, qui anime aussi les petits bonshommes rouges de notre affiche pour le meeting du 14 juin prochain. Si vous avez lu « Chagrin d’école » (2), vous retrouverez des petits bonshommes, ceux de Daniel Pennac : « Ma vitalité m’était vitale… Le jeu me sauvait du chagrin qui m’envahissait dès que je retombais dans ma honte solitaire. Mon Dieu, cette solitude du cancre dans la honte de ne jamais faire ce qu’il faut ! Et cette envie de fuir… C’est sans doute à cette envie de fuir que je dois l’étrange écriture qui précéda mon écriture. Au lieu de former des lettres de l’alphabet, je dessinais des petits bonshommes qui s’enfuyaient en marge pour s’y constituer en bande… les lettres se métamorphosaient d’elles-mêmes en ces petits êtres sautillants et joyeux… Aujourd’hui encore j’utilise ces bonshommes dans mes dédicaces… C’est la bande de mon enfance, je lui reste fidèle. »

Comment transformer ce qui fait souffrance en un atout, une richesse ? Prenons Gabriel (3) que Lisa a ramené à la maison. Gabriel est un garçon bizarre qui intègre une nouvelle école d’enseignement pas si ordinaire comme on dit souvent trop vite: Gabriel ne cesse pas de faire le tour de la cour à grands pas, en hochant la tête à chaque enjambée. Assis sur un banc, il se balance comme s’il écoutait de la musique mais il n’a pas d’écouteurs et il se balance plus vite si on s’approche de lui. Il ne quitte pas son anorak en classe, il connaît les tables de multiplications jusqu’à 12, on dirait un ordinateur. Mais pour lui, 5 et 5 font 55 et pas 10. Entre parenthèses, personnellement, je trouve qu’il a aussi raison ! A l’occasion il dit tout haut ce que les autres pensent tout bas, il ne regarde pas les autres, il regarde par la fenêtre, ça lui arrive de sourire dans le vague. Gabriel s’isole des autres, de ce qui fait intrusion pour lui, il n’aime pas changer comme il dit.

C’est grâce à une rencontre, celle avec un professeur de théâtre qui n’oblige pas Gabriel à participer activement à la pièce, que Gabriel va s’ouvrir aux autres. Ce professeur fait place dans sa classe à ce qui est inclassable chez Gabriel. Jusqu’au jour où, par surprise, Gabriel consent à entrer dans le jeu sans rien dire mais en mimant au bon moment le rôle du policier. Un autre jour, il va montrer comment, pour du semblant, on détache la moitié d’un doigt, puis comment on fait des ombres chinoises. Ensuite, il épatera les copains en disant les prénoms à l’envers, ce qui va servir pour un temps de code entre quelques enfants. Gabriel parviendra même à emprunter une voix caverneuse pour jouer son rôle de policier dans la pièce. Tout le monde applaudit mais personne ne sait si Gabriel qui s’est retiré avait été content de lui. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas en attendre autant. D’ailleurs, Clara qui se prend trop pour une mamie qui s’occupe d’un bébé, va-t-elle supporter que Gabriel ne fasse pas attention à elle ? Lors de la répétition générale, c’est parce qu’un élève a un trou de mémoire que Gabriel pourra lui souffler la réplique ! Gabriel qui n’est plus isolé mais en retrait est présent ! C’est parce qu’il est fait une place respectueuse à la particularité de Gabriel qu’il s’ouvrira. C’est donc pour moi une leçon, non pas de conduite étriquée à tenir, mais de marge souple à laisser pour donner chance à un élève de se révéler un être humain qui peut alors apprendre. Les étiquettes de conduite ne nous servent à rien, si ce n’est à isoler encore davantage. Place à une marge pour chacun qui permet le lien.

(1) « Le commando des Pièces-à-trou », de Pierre Coran, chez Milan Poche, Histoire.

(2) « Chagrin d’école », de Daniel Pennac, chez Gallimard.

(3) « Gabriel », de Elisabeth Motsch, chez Mouche de l’école des loisirs.

Le trouble de la conduite, un vrai « faux » diagnostic, par Philippe Bouillot,

Nous apprenons que le Conseil Supérieur de la Santé, « en réaction à des préoccupations actuelles », a initié un groupe de travail sur les troubles de la conduite chez l’enfant et l’adolescent. Sans plus de précision sur ces préoccupations, nous pouvons néanmoins supposer à la lecture de la lettre qui annonce cette étude, que ce ne sont pas les préoccupations actuelles des enfants et des adolescents qui motive au premier chef, la réaction du Conseil.

Nous ne doutons pourtant pas que ce souci à l’égard des préoccupations des jeunes l’anime également, mais nous devons constater que c’en est un autre qui prime, celui de leurs conduites, ce qui est très différent.

Le courrier précise que l’étude ne concerne pas « les pathologies médicales spécifiques qui font l’objet d’un traitement particulier et bien défini tel que par exemple, le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité[1] mais bien « l’ensemble des conduites persistantes dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet »[2].

L’observateur le plus neutre ne manquera pas de s’interroger sur la nature « médicale » d’un tel « diagnostic » qui repousse ses frontières de telle manière que le champ de la médecine en devient illimité.

Quelles sont la pertinence et l’utilité d’un concept aux contours si « trouble » pour fonder une étude qui risque, il y a fort à parier, de déboucher sur les mêmes conclusions que celles menée en France sur base d’hypothèses et de méthodes de travail semblables et qui a suscité récemment une très vive polémique[3] , c'est-à-dire la recommandation du dépistage de la délinquance dès l’age de trois ans.

S’il est bien nécessaire de lancer une concertation sur les réponses à apporter aux formes contemporaines du malaise chez les jeunes, on se demande par contre s’il est bien utile de financer une recherche sur la base de ce soi-disant diagnostic de « Trouble de la conduite » qui confond ce qui est pathologique dans un comportement et ce qui ne l’est pas, tout comme il confond des pathologies n’ayant rien à voir les unes avec les autres, ruinant de ce fait, la mise en place des soins et traitements adaptés.

De plus, en faisant purement et simplement l’amalgame entre des comportements contraires aux normes sociales en vigueur et un diagnostic médical de trouble mental, cette médecine là se compromet dans des confusions de sinistre mémoire.

Parmi les plus adeptes fervents du manuel de psychiatrie standardisé, DSM IV, des voix s’élèvent pour demander le retrait de ce vrai-faux diagnostic. Des psychiatres américains voulant œuvrer à l’amélioration et à la crédibilité de leur projet de psychiatrie scientifique considèrent que la notion de « Trouble de la conduite » est totalement inconsistante conceptuellement, dangereuse sur le plan thérapeutique et inacceptable moralement, qu’elle porte donc atteinte à la médecine et qu’il faut plaider pour la suppression de ce syndrome dans les prochaines éditions du DSM.

Charles Huffine[4], par exemple, est un des animateurs de cette campagne et dans un article paru en 2002[5], il défend vigoureusement cette élimination avec des arguments qui peuvent retenir notre intérêt même si cette critique interne au DSM vise à le consolider, ce qui n’est pas notre perspective.

Cas clinique à l’appui, Charles Huffine, n’y va pas par quatre chemins.

La critique la plus radicale qu’il adresse aux TC est en effet un manque total de consistance qui se démontre tout seul puisque la co-morbidité est maximale. En d’autres termes, les TC étant compatibles avec à peu près toutes les autres pathologies, ils ne discriminent plus rien et les meilleurs résultats de traitements des TC s’observent quand on s’occupe des pathologies associées. Leur définition est tautologique : une personne souffrant de TC présente des troubles de la conduite de différentes sortes. C’est un exemple parfait des impasses auxquelles mènent les choix méthodologiques des concepteurs du DSM. Les diagnostics sont conçus sur une base totalement empirique en faisant l’impasse sur toute hypothèse étiologique dans l’espoir de se libérer des débats théoriques qui « empestaient » la psychiatrie depuis trop longtemps selon les concepteurs du DSM.

Cette critique, réverbérée sur l’ensemble du projet DSM, est évidement particulièrement dévastatrice parce qu’elle vaut pour bien d’autres prétendus diagnostics et en particulier celui de dépression[6].

Cette inconsistance ne fait que surligner ce que la définition de ce pseudo ensemble des TC doit au système des normes ayant cours dans le comportement social et que son usage à des fins de contrôle social est sa finalité même.

Il faut bien voir que ce qui est visé ici par Huffine ce n’est pas l’idée même d’un nécessaire contrôle social, bien sûr, mais le détournement des valeurs scientifiques et médicales.

Le deuxième argument de Huffine, dont nous ne partageons pas les conceptions étiologiques et thérapeutiques, concerne le nihilisme thérapeutique du diagnostic TC et est d’ordre pragmatique. Non seulement, le diagnostic des TC ne se fonde sur aucune hypothèse étiologique (ou sur toutes à la fois) mais il ne débouche sur aucune indication thérapeutique valable sauf celle de s’occuper des troubles associés. Mais en plus, la stigmatisation qu’il entraine et l’inefficacité des indications de traitement ont conduit à considérer que les jeunes diagnostiqués TC sont incurables et donc exclus de toute aide effective ce qui ne fait qu’aggraver la situation. L’échec thérapeutique est à mettre au compte de la très grande hétérogénéité des pathologies à l’œuvre derrière les comportements perturbés et pourrait être évité en mettant en place une intervention personnalisée qui ne tiendrait compte pas uniquement des comportements mais bien des causes singulières de celui-ci.

Enfin, l’amalgame que fonde et permet le diagnostic TC entre les comportements déviants et les troubles mentaux réveillent le spectre d’une psychiatrie soviétique et le rend tout bonnement inacceptable aux yeux de Huffine comme aux nôtres.

La notion de « trouble de la conduite » réunit tous les présupposés et les préjugés qui nous assure un très mauvais départ dans l’abord d’un malaise que de nombreux praticiens de l’écoute accueillent quotidiennement avec d’autres repères et des résultats dont ils témoigneront lors du meeting du 14 juin.

Philippe Bouillot
1er juin 2008



[1] Un observateur bien informé s’étonnera d’une telle assurance à l’égard de la « spécificité » et de la « définition » de ces syndromes.

[2] Le DSM IV définit ainsi le syndrome des troubles de la conduite.

[3] Cfr. La Pétition « Pas de zéro de conduite » qui a rassemblé quelques 200.000 signatures (http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/rubrique.php3?id_rubrique=3)

[4] Pour plus d’informations le concernant : http://www.wpic.pitt.edu/aacp/bio/chuff.html

[6] voir à ce propos la préface de R.L. Spitzer, maître d’œuvre du DSM III, qui prend acte des critiques du même ordre adressé au concept de « Dépression » par A. Horvitz et J. Wakefield dans leur ouvrage : « The loss of sadness », Oxford, University Press, 2007.

Question au parlement de la Communauté française

Question d’actualité de M. Reinkin à Mme Fonck, ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé, concernant « l’étude sur les « troubles de la conduite » chez les enfants menée par le Conseil supérieur de la santé ».
Séance du 6 mai 2008

M. Yves Reinkin (ECOLO). – En 2005, une étude sur les troubles de la conduite chez l’enfant et l’adolescent a été menée en France par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Cette étude utilisait le langage médical pour essayer de repérer chez les enfants en bas âge des troubles de comportement qui auraient pu constituer des signes avant-coureurs de possibles actes de délinquance. M. Sarkozy s’était empressé de faire référence à cette étude dans un avant-projet de décret sur la prévention de la délinquance. Ensuite, ces recherches ont été mises de côté parce qu’on s’est rendu compte que cela devenait ambigu.

Or, le Conseil supérieur de la santé vient de lancer un travail de recherche dans le même domaine. Il s’agit évidemment d’une instance fédérale, mais cette recherche a des implications à la fois sur l’accueil de l’enfance et sur l’éducation. Nous sommes donc concernés par le travail en cours.

J’aimerais savoir, madame la ministre, si vous avez pris connaissance de la démarche entreprise par le Conseil supérieur de la santé. Comment comptez-vous réagir à l’égard de cette recherche ? Comptez-vous, par exemple, prendre contact avec vos homologues des autres entités et êtes-vous, d’une manière ou d’une autre, impliquée dans cette démarche ?

Mme Catherine Fonck, ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé. – Ma réponse sera particulièrement concise.

J’ai effectivement appris qu’un travail était réalisé à l’échelon fédéral. On me dit que l’avis ne sera pas rendu avant fin 2008.

Quant à la Communauté française, deux membres de la DGAJ ont été sollicités soit pour être associés au travail lui-même, soit pour apporter leur éclairage.

Au stade actuel, je n’irai pas plus avant dans ce dossier, préférant attendre l’avis du Conseil supérieur de la santé. Bien entendu, je trouverais absurde – je vous rejoins sur ce point – de formuler des recommandations visant à « dépister » la délinquance. Il faut éviter le risque d’amalgame que vous dénoncez à juste titre.

M. Yves Reinkin (ECOLO). – Je voudrais encore formuler deux observations.

Tout d’abord, je suppose que vous avez pris connaissance de l’avis n° 95 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, avis selon lequel la démarche menée implique un véritable danger, celui d’enfermer l’enfant dès son plus jeune âge dans les préjugés, de le placer d’emblée dans une certaine catégorie. Va-t-on apposer l’étiquette « délinquance » sur un jeune enfant ? Je vous demande de suivre ce dossier avec la plus grande vigilance, tant pour ce qui est des raisons qui incitent à mener ce type de recherches que des résultats et de leur utilisation dans les mois à venir.

Ensuite, je me permets d’insister pour que vous preniez langue à ce sujet avec vos homologues des autres entités.

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La transcription depuis le document parlementaire a été assurée par Brigitte Duquesne

dimanche 1 juin 2008

Voulez-vous êtres évalués ? Jean-Claude Milner et Jacques-Alain Miller

Article de Christian Ruby, "Le paradigme de l'évaluation.", paru sur EspacesTemps.net, Il paraît, 28.10.2004 http://espacestemps.net/document735.html
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Le paradigme de l'évaluation.
Jacques-Alain Miller et Jean-Claude Milner, Voulez-vous être évalué ?, 2004.
Christian Ruby

Image1Du point de vue technique, la formulation de cette question de l'évaluation (objet, méthode, résultats) n’est rien d’autre qu’une conséquence de l'expansion du paradigme de la mesure, qui de son côté corrobore l'usage social fait de la mathématique dans les sociétés modernes. Cet usage de la mathématique dans les sociétés rationalisées en vue de fins n'a d'ailleurs pas rendu possible le déploiement de la seule catégorie d'évaluation, il a favorisé aussi les discours articulés au couple « problème-solution » (« tout problème a une solution », etc.). Le résultat le plus flagrant de ce mode de fonctionnement est le jeu de substitution par lequel un problème social trouve nécessairement, dit-on, sa solution dans l'évaluation des données. C'est même la vertu de la conciliation qui vient corroborer ce fonctionnement. Pour beaucoup, à cet égard, l'évaluation est même déjà la solution du problème.

Du point de vue du pouvoir et de la société, maintenant, l'évaluation, conçue comme un mode de fonctionnement de l’État, ouvre une perspective beaucoup plus large, celle des classements et des expertises. Elle ne se réduit plus à un aspect technique. Elle relève d'une véritable manière de gouverner, d'un gouvernement qui s’exerce par le « savoir » ou d'une raison évaluatrice et ordonnatrice passant pour une figure de gouvernement. Car, dans un tel cas, l'évaluation renvoie à tout un système d’accréditation (sous l'égide de la raison d'État) : reçoivent des crédits ceux qui acceptent d’être évalués. L’évaluation partage même les démocraties en deux groupes : les démocraties fondées sur la loi et les démocraties fondées sur le contrat. A partir du motif suivant : dans les premières, on peut se révolter contre la loi ; tandis que dans les secondes, le citoyen a consenti au processus, donc il ne peut plus se révolter.

Jean-Claude Milner, philosophe, mène ainsi sa réflexion dans le cadre de deux séminaire de psychanalyse (2003) dirigés par Jacques-Alain Miller, psychanalyste (gendre de Jacques Lacan, éditeur des Séminaires). Bien sûr, il est d'emblée sollicité par des faits précis, relevant de ce domaine : l’amendement J.M. Accoyer (député Ump, portant sur l'évaluation de la psychanalyse en France ; cet amendement visait à encadrer les professions dites « psy », en soumettant leurs praticiens à une évaluation, largement dominée par les psychiatres), la fondation de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) et le sort global réservé à l'Université. Mais, surtout, l’un et l’autre déclinent leurs critiques en se situant dans le cadre d'une théorie de l'unique (le psychanalyste accueillant chaque sujet comme si c'était la première fois ; la psychanalyse pouvant aménager des espaces où les pouvoirs acceptent de mettre en suspens leur volonté de contrôle). Cela étant, non seulement eux-mêmes ne se bornent pas à commenter l’actualité de l’époque, mais nous pouvons nous-même centrer notre lecture de cet ouvrage sur le fonctionnement social et politique de l'évaluation.

A ce propos, en effet, Jean-Claude Milner propose une réflexion très ample. Relevant d'abord les symétries en jeu dans l'évaluation : l'évalué accepte le principe général de l'évaluation, tandis que l'évaluateur donne son expertise, mais est potentiellement soumis à une contre-expertise dans laquelle il devient lui-même objet d’évaluation, etc. Relevant ensuite les conséquences de cet enchaînement généralisé : la domination de l'idée de contrat dans les sociétés modernes. « L'évaluation est une procédure lourde... qui relève de la logique du contrat parce qu'en vérité l'évaluation, en tant que substitution de l'être évalué à l'être qui était à évaluer, repose sur la même logique de substitution d'équivalent à équivalent que le contrat lui-même ou que le dispositif problème-solution » (le contrat se fait consentement et substitution, « contrat de confiance à la Darty », si on aime ce genre d’humour).

Une telle perspective permet d'entamer la critique de l'évaluation. Car, l'enchaînement décrit ci-dessus aboutit évidemment à un formalisme de la relation. Par lui, le rapport entre les personnes, et les personnes et les choses est devenu un pur et simple rapport technique. Ou plutôt, un rapport gouverné par la technique. Si l'évaluation est bien « une force matérielle qui intervient dans les affaires de l'État parce que l'évaluation, c'est le pouvoir administratif s'imposant aux politiques », alors, par ce biais, le pouvoir administratif s’impose même aux femmes et hommes politiques. L'évaluation ne peut pas passer pour autre chose qu’un art du management. Un art de la mesure, qui aboutit à étalonner, chiffrer, comparer, au point de chercher à normer (les attitudes, les conduites, les activités professionnelles). Un art de l'identification, du passage de l'indéterminé, de l'insaisissable, au normé. Un art gestionnaire.

La bataille en tout cas a le mérite de la clarté, et intéresse les sciences sociales par de nombreux biais. La preuve en est d’autres ouvrages sur le même thème, parus ces derniers temps, parmi lesquels : Christophe Dejours, L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel, critique des fondements de l’évaluation (Paris, Inra Éditions, 2003), et son compte rendu dans le Bulletin Critique du Livre en français du mois de Juin 2004, ouvrage qui cherche à définir des évaluations « rationnelles » et « contrôlées ». Au cœur de cette bataille : d'un côté, la volonté d'étalonner (des groupes, des individus), de l'autre, la résistance. L'opération évaluatrice organise, il est vrai, un double partage : partage entre l'évalué et le rejeté et partage entre les adeptes de la raison évaluatrice et les opposants.

Ces derniers, parmi lesquels les auteurs de cet ouvrage, entrent en lutte contre l'expertise sociale, l'évaluation des groupes, l’évaluation disciplinaire (sociologique, psychologique, etc.), parce qu'elles multiplient les interventions de la raison calculatrice dans la société. « Mieux » ou « pire », elles se font opération de séduction, dans la mesure où elle jouent à la fois sur l'opération elle-même de séquençage et sur le consentement à cette opération. La deuxième opération étant plus importante, en fin de compte, que la première en ce qu'elle est le versant « soft » de l'évaluation. « Il est essentiel à l'évaluation de séduire » : tout est gagné lorsque quelqu'un consent à la visite de l'évaluateur. Il est palpé, classé, évalué, etc. Le « meilleur », si l'on peut dire, est encore qu'il accepte de s’auto-évaluer. Alors le principe politique de l'évaluation a gagné. Car, à terme ou déjà, on pressent que les hommes ne se sent(-iront)ent bien qu'évalués. L'évaluation a de ce fait quelques rapports avec le discours du maître. « L'évaluation est dans le monde contemporain ce que j'ai vu qui ressemble le plus à une secte ». En somme, il y a quelque chose de vital à combattre l'évaluation.

Pour en revenir alors à la situation faite à la psychanalyse en France, on voit bien ce qui découle de ce raisonnement. L'État est-il responsable de la santé publique et de la santé mentale en particulier ? On voit bien le risque de répondre « oui » à cette question : l'État devrait alors fournir un corps assermenté d'évaluateurs à la population, et ces évaluateurs « débiteront des diagnostics garantis ».

Jacques-Alain Miller et Jean-Claude Milner, Voulez-vous être évalué ?, Paris, Grasset, coll. Figures, 2004. 96 pages. 10 euros.


Christian Ruby

Docteur en philosophie, Enseignant, Chargé de cours sur le serveur audiosup.net de l'Université de Nanterre (Paris 10), Chargé de cours à l'antenne parisienne de l'Université de Chicago, Membre de l'Association pour le Développement de l'Histoire culturelle, membre du Comité de Rédaction des revues Raison Présente, EspacesTemps et Les Cahiers de l'Éducation permanente (Accs, Belgique). Derniers ouvrages : L'État esthétique, Essai sur l'instrumentalisation de la culture et des arts, Bruxelles, Labor, 2000 ; L'Art public, Un art de vivre en ville, Bruxelles, La Lettre volée, 2001 ; Les Résistances à l'art contemporain, Bruxelles, Labor, 2002.

Pour faire référence à cet article
Christian Ruby, "Le paradigme de l'évaluation.", EspacesTemps.net, Il paraît, 28.10.2004
http://espacestemps.net/document735.html