Touche pas à ma conduite,
écoute d’abord ce qu’elle tait
Appel des praticiens de l’écoute
Meeting à Bruxelles le 14 juin 2008 contre la bio-domestication de l’humain
> « Trouble de la conduite » : un diagnostic troublant qui fait l’amalgame entre maladie psychique et comportement déviant
> Les impasses d’une hyper-médication de la souffrance psychique chez l’enfant
> Les dérives d’un dépistage précoce de la délinquance
> Non à l’homme machine et au tout quantifiable.
Lili vient d’avoir 18 ans. Après trois mois d’errance sans que ses parents adoptifs ne sachent où elle se trouve, elle est interpellée par la police et passe en comparution immédiate pour avoir agressé une dame dans la rue. Un an de prison ferme. Trois ans plus tôt, elle avait rencontré un psy à qui elle avait confié entendre dans sa tête sa mère biologique hurler « à l’aide ». Elle s’enfuyait alors de l’école, pour la rejoindre, au hasard des routes… Le psy préconise une prise en charge spécialisée qui est refusée, la dimension hallucinatoire n’est pas reconnue et les difficultés de Lili sont attribuées à sa conduite opposante. En prison aujourd’hui, elle a cherché à mettre fin à ses jours. C’est dans ce pays, où vient d’être mise en place la « comparution immédiate », qu’un prestigieux institut de recherche, l’INSERM, a produit un rapport sur les « troubles de conduite » qui concluait à l’impérative nécessité d’un dépistage dès trois ans de ce « facteur de délinquance ». 200.000 signatures sont venues de toute la France pour faire opposition.
Chez nous la même étude vient d’être lancée au Conseil Supérieur de la Santé. Aboutira-t-elle aux mêmes conclusions délétères ? Quelle réponse sera apportée à Lili, en Belgique ?
Une recherche vient d’être lancée au Conseil Supérieur de la Santé sur le dit diagnostic de « troubles de la conduite ». Nous souhaitons y contribuer en alertant l’opinion éclairée des dérives qu’une telle notion risque de produire dans les champs éducatifs et psycho-médico-social, dans la culture et tout simplement dans la société en général. C’est pourquoi nous organisons un meeting qui rassemblera professionnels du secteur et acteurs de la vie publique, intellectuels, artistes, politiques, universitaires, enseignants. Il concerne tout citoyen interpellé par l’hyper-médication de l’enfance, la mise sous séquestre de la souffrance psychique et plus largement par le contrôle du plus intime de l’humain. Le réductionisme, en réduisant la psyché à une série de catégories observables et évaluables fait l’impasse sur la complexité de l’être parlant.
« Troubles de la conduite » : dangers, impasses, dérives
La notion anglo-saxonne de conduct disorder est un artefact conceptuel qui homogénéise des situations et des problématiques fort différentes en faisant croire qu’elles auraient une origine commune, essentiellement neuro-biologique. Elle s’inscrit dans une idéologie plus large qui vise à réduire toute souffrance ou malaise d’ordre personnel ou social à une cause strictement biologique ou comportementale, faisant l’impasse sur l’humain comme être parlant. Les promoteurs de cette notion admettent bien évidemment la nécessité d’actions de réforme dans le domaine social et de l’enseignement. Cependant, comme ces actions sont déjà le lot d’autres professionnels et d’autres instances, leur but consiste essentiellement à faire valoir la dimension causale restante, soit celle d’une « prédisposition » dont on pourrait dépister les signes dès la petite enfance. Il serait ainsi possible d’en prévenir les manifestations par un traitement approprié, tant sur le plan comportemental que médicamenteux.
Cet abord, que sous-tend la notion de « trouble de la conduite », permet d’introduire des recommandations de dépistage en laissant supposer par ces préceptes qu’un diagnostic médical précoce de la délinquance – c'est-à-dire du rapport d’un sujet à la Loi ─ serait enfin accessible par des moyens « scientifiques ». Ainsi, l’éducation devient une domestication et le lien parental un pattern de comportement.
Aborder la complexité psychique par le strict biais « comportemental », c’est prendre le risque que les phénomènes personnels, familiaux ou sociaux soient soumis aux idées reçues et aux clichés les plus ségrégatifs. L’abord « comportemental » est largement insuffisant à recouvrir la richesse des données cliniques récoltées par d’autres pratiques, plus largement basées sur des entretiens non standardisés et impliquant la participation active du souffrant. Il ne permet pas de répondre sur le long terme aux défis thérapeutiques que posent les diverses formes contemporaines de rupture ou d’altération du lien social. L’abord « cognitif », s’il est porteur d’espoirs de traitement pour les affections purement neurologiques, présente le leurre d’une investigation neuronale de la pensée humaine qui ne serait ajournée que par l’attente de techniques « d’imagerie mentale » plus performantes. La visée de ce rêve « scientiste » est de pénétrer de façon transparente la psyché de ses contemporains – ce qui ne serait plus de la science mais un retour à l’obscurantisme le plus noir.
Nous nous inquiétons de la tendance, qui se manifeste partout en Europe, d’une standardisation des pratiques issue du modèle réductionniste anglo-saxon, lequel fait fi de la tradition européenne, psycho-dynamique et psychanalytique. Cette tradition, qui ne néglige pas les avancées de la science, s’oppose à tout profilage des jeunes, elle n’écrase pas la différence des problématiques sous une notion stigmatisante et une thérapeutique standardisée mais fait place à l’implication de chacun dans sa parole. Une chance est ainsi donnée à ce qu’une modification intériorisée se produise dans la « conduite » qui fait difficulté et que la souffrance psychique trouve à être apaisée.
Quant au dit comportement hors norme, il y a d'autres voies pour l'aborder que la prévention rigide qui stigmatise toutes les déviances en les éjectant du registre de la souffrance psychique. Ces autres voies fondent le travail quotidien des praticiens de l'écoute. Les dispositifs d’accueil et d’accompagnement existent, il suffit de les développer, des praticiens sont à l’œuvre, il s’agit d’encourager leurs efforts. Le lancement d’une recherche sur les « troubles de la conduite » ne peut, par sa définition même que faire la promotion de thérapeutiques comportementales et médicamenteuses que ce prétendu « trouble » impliquerait. Sauf que cette opération pseudo-scientifique de marketing risque d’avoir des conséquences désastreuses sur la santé publique et l’ordre social. Nous sommes convaincus de l’utilité sociale de l’écoute — une écoute orientée par une formation rigoureuse. Tous ceux qui aujourd’hui confrontent les concepts psycho-dynamiques à l’évolution de la culture et des sciences vérifient leur grande actualité et leur portée pratique.
Devant les pratiques de l’écoute, le scientisme qui s'attaque à la psyché et l’idéologie de l’homme-machine trouveront des adversaires.
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