mercredi 28 mai 2008

La télé toxique pour les bébés

Un article de Serge Tisseron paru sur le site
http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/423000/la-tele-toxique-pour-les-bebes.html
D’un côté, on propose aux parents la télé pour « calmer » leur bébé, accroissant ainsi le risque que l’enfant soit agité aussitôt que l’écran est éteint. De l’autre, on prépare les traitements médicamenteux destinés à calmer ensuite cet enfant agité. Dans tous les cas, ce sont les industries qui en récoltent les bénéfices.
Ces “chaînes” télévisées “nous confrontent à la question de savoir quel type d'individus, et donc de société, nous voulons pour l'avenir”.

La télé toxique pour les bébés
MÉDIAS ET ÉDUCATION
Serge TISSERON, Psychiatre, psychanalyste et directeur de recherches à l'Université Paris X.

Les seules études réalisées révèlent que les chaînes de télévision pour jeunes enfants ralentissent ceux-ci dans leurs apprentissages linguistiques. On est loin d'un intérêt éducatif !

Plusieurs chaînes de télévision qui s'adressent aux jeunes enfants mettent en avant leur intérêt éducatif. Mais celui-ci n'a jamais été démontré, et les seules études réalisées révèlent au contraire qu'elles ralentissent les enfants de 8 à 16 mois dans leurs apprentissages linguistiques ! En fait, la télévision destinée aux enfants de moins de trois ans pose essentiellement quatre problèmes.

1. Tout d'abord, nous savons aujourd'hui que le développement d'un jeune enfant passe par la motricité et la capacité d'interagir avec les objets qu'il rencontre. Alors que l'interactivité est intrapsychique chez l'adulte et l'enfant grand, elle a besoin de s'appuyer sur le corps chez l'enfant jeune. L'intelligence, à cet âge, est en effet sensorielle et motrice plus que conceptuelle ou imagée. Il est à craindre que le temps passé par l'enfant devant les programmes d'une chaîne pour bébés - qui rassurera les parents parce qu'elle est présentée comme fabriquée pour les tout-petits - ne l'éloigne des activités motrices, exploratoires et interhumaines, fondamentales pour son développement à cet âge.

2. Nous savons aussi que l'enfant n'établit une relation satisfaisante au monde qui l'entoure que s'il peut se percevoir comme un agent de transformation de celui-ci. C'est ce qu'il fait quand il manipule de petits objets autour de lui. Il est à craindre que l'installation d'un tout-petit devant un écran ne réduise son sentiment de pouvoir agir sur le monde et ne l'enkyste dans un statut de spectateur du monde.

3. Les parents peuvent être tentés d'utiliser la télévision comme moyen d'apaiser l'enfant, mais elle leur évite en réalité un travail éducatif sur lequel il pourrait s'appuyer pour grandir. Prenons deux exemples : tous les parents savent comme le coucher d'un tout-petit est difficile: il rappelle, les parents y retournent, puis quittent sa chambre... pour revenir un peu plus tard, attirés par de nouveaux cris et, finalement, lui apprendre à s'endormir tout seul. Installer une télévision dans la chambre de leur enfant facilitera peut-être son endormissement, mais lui évitera d'affronter les angoisses de séparation qu'il trouvera tôt ou tard sur son chemin. Autre exemple : l'enfant doit apprendre à faire face à l'absence, au vide, à l'ennui... c'est ce qui lui permettra plus tard de ne pas être dans une incessante avidité de consommation (achats inutiles, alcoolisme, partenaires multiples...). Edulcorer la douleur de la frustration risque d'entraîner l'enfant dans une pseudo-satisfaction par le biais d'objets externes qui ne l'apaiseront jamais, car le manque est interne.

En outre, le bébé précocement captivé par le rythme rapide des couleurs et des sons qui se succèdent sur l'écran risque d'intérioriser ce rythme dans sa personnalité en formation. Ainsi, peut s'installer un cercle vicieux tragique dans lequel les parents ne voient plus d'autre solution, pour calmer un enfant, que de le placer devant un écran... où des images et des sons qui se succèdent à un train d'enfer contribuent à accroître son instabilité. La télévision devient ce qui l'excite sans cesse selon un rythme toujours imposé par elle, et avec une intensité largement supérieure aux stimulations habituelles de la vie quotidienne. Elle devient un équivalent technologique de la relation pathogène, hyperstimulante et intrusive. D'un côté, les parents ont recours à la télé pour que leur enfant reste tranquille... et d'un autre, ce même enfant révèle une agitation croissante aussitôt que l'écran s'éteint.

4. De nombreux travaux d'éthologie, y compris appliqués à la relation mère-enfant, ont montré combien l'être humain est capable de s'accrocher aux éléments les plus présents de son environnement, dès les débuts de sa vie, et notamment à ceux dont il a l'impression qu'ils le regardent. Il est à craindre que les jeunes enfants ne développent une relation d'attachement aux héros de la télé semblable à celle qu'ils ont avec les adultes qui les entourent. On voit combien l'argument qui consiste à dire que ces chaînes ne contiennent pas de publicité est fallacieux : tous leurs programmes constituent des supports publicitaires pour les produits dérivés que l'enfant demandera aussitôt qu'il les verra !

Certains enfants pourront même établir une relation d'attachement aux écrans indépendamment de tout contenu. Ils ne se sentiront sécurisés que si l'un de ces fameux écrans est allumé près d'eux. Jusqu'à devenir, plus tard, des adolescents qui attendent une approbation de ce qu'ils pensent, ressentent, et sont... à des écrans.

Pour toutes ces raisons, nous voyons que la télévision à destination des jeunes enfants pose des problèmes bien spécifiques. Avec elle, il ne s'agit plus seulement de tenter de gérer les choses en termes de qualité des programmes et de contrôle de la durée passée par chaque enfant devant le petit écran. Ces chaînes nous confrontent à la question de savoir quel type d'individus, et donc de société, nous voulons pour l'avenir.

Serge Tisseron publie ce mois-ci "Les dangers de la télé pour les bébés", un petit livre destiné aux professionnels de l'enfance et édité par la Communauté française. Le public peut le télécharger gratuitement sur le site yapaka.be

dimanche 18 mai 2008

« Au lieu de se demander pourquoi un enfant est triste, ils le droguent »

Nous allons vers un monde de zombies - interview de Juan Pundik
Article paru sur le site de la revue « La Capital » de Buenos Aires, le 12 mai 2008

http://www.lacapital.com.ar/contenidos/2008/05/10/noticia_0022.html

« Lacan disait que la psychanalyse dispose d’une éthique, mais pas la science. Ainsi, s’il faut détruire une ville pour essayer une bombe, la science le fait. La recherche scientifique a donc l’habitude d’être soutenue financièrement par le pouvoir économique qui, dans le cas qui nous occupe, est intéressé par le marché des consommateurs de médicaments. Mais nous sommes un certain nombre à ne pas nous laisser corrompre. »

La définition du psychanalyste Juan Pundik est un exemple de la position politique qui soutient son travail depuis plus de trois décennies contre la maltraitance faite aux enfants. C’est cette tâche qui a, durant les dernières années, orienté ses actions contre la médicalisation de l’enfance, un phénomène qui, depuis la dernière décennie, croît partout dans le monde au baromètre des questions de marché qui omettent les conséquences graves de cette médicalisation.

Pundik, résident argentin en Espagne depuis son exil en 1976, s’est rendu dans sa Buenos Aires natale, pour présenter son travail au congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Cette visite l'a amené à présenter son travail à Rosario, au Siège de Gouvernement de l'UNR. « La médicalisation, ce n’est pas le fait de prescrire un médicament, mais c’est celui d’abuser du médicament de manière généralisée, à partir des intérêts et des pressions de l'industrie pharmaceutique, auxquels peu peuvent échapper », a soutenu ce professionnel de terrain, lors d’une entrevue avec la revue « La Capital ».

Les avancées dans le domaine vont plus loin à son avis. Depuis 2006, date après laquelle l'Agence Européenne du Médicament (Emea) autoriserait l'administration de Prozac à des mineurs de moins de 18 ans, Pundik dirige la Plate-forme Internationale contre la Médicalisation de l'Enfance pour dénoncer « cette aberration qui a tenu compte des rapports effectués par les fabricants de la substance avant les études qui alertaient sur les risques de celle-ci».

Pour Pundik, le fait que l’on permette aux laboratoires d’être « juge et partie » donne une idée du poids de l'industrie pharmaceutique et de ses intérêts économiques. C’est ce qui l'a motivé à dénoncer cette situation cinq fois devant le président de la Commission Européenne, mais désespérant d’obtenir une réponse qui n'est jamais arrivée, il a décidé de porter sa plaidoirie devant le Parlement européen, qui l’a entendu et qui effectue maintenant « des démarches » tandis que la plate-forme continue à rassembler des signatures et des adhésions. La tendance à médiquer les enfants préoccupe déjà tant les médecins que les pédagogues qui ne voient pas, dans l'administration de drogues, la solution aux troubles de l’attention des élèves dans la salle de classe, étiquetés généralement - comme si cela pouvait s’expliciter simplement - comme trouble dû à un déficit d'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

« C'est un problème globalisé, il fonctionne de la même manière dans beaucoup de pays. Certains enseignants font appel aux pères et disent : « Ou ils médiquent cet enfant, ou ils le retirent de l’école », a résumé Pundik faisant allusion à une pratique apparemment de plus en plus fréquente dans les salles de classe : soit, l'étiquetage des enfants en fonction de ses supposés troubles comme les « attaques de panique », ADD, ODD, TGD, sans s'arrêter sur leurs causes.

Les détracteurs de cette façon de faire disent que le médicament, au lieu de traiter les causes de l'inattention des enfants, cache le symptôme. Si l'enfant turbulent est un distrait ou un génie ou traverse des problèmes familiaux, cela reste hors de discussion avec prescription d’un produit, qui peut être un dérivé d’amphétamine ou un antidépresseur. Mais sont aussi omis généralement les effets secondaires des drogues sur les enfants, effets qui peuvent apparaître quand il sera déjà trop tard.

« J'ai fait l'essai de consommer du méthylphénidate1 pendant 30 jours et j’ai pu constater les effets de ce beaucoup appellent la « cocaïne pédiatrique ». Cette substance est fournie à des enfants de tout âge, tant en Europe qu’aux Etats-Unis », a averti Pundik.2


-Comment la psychanalyse traite-t-elle les enfants hyperactifs ?

- Pour la psychanalyse, il n'existe pas d’enfant hyperactif. Est catalogué comme hyperactif un enfant qui n'est pas facile et n'a pas un bon rendement scolaire. Quand on pense à Borges qui disait que son éducation s’était terminée quand il est entré à l'école !

- Mais l'enfance de maintenant n'est pas celle d'avant.

- Les enfants sont de plus en plus intelligents et soucieux, curieux, mais évidemment donnent davantage de travail que les enfants abrutis par les médications. C’est aussi du à l’action des laboratoires qui organisent des campagnes publicitaires contre la dépression infantile, campagnes au moyen desquelles, au lieu de se demander pourquoi un enfant est triste, ils le droguent.

- Mais quels effets ont ces médicaments pour qu’ils soient prescrits en classe ?

- Les amphétamines, que nous prenions pour être mieux concentrés quand nous étions étudiants, font que l’inattentif prête davantage d'attention par l’action du produit sur les transmetteurs neuronaux. Les enfants sont plus tranquilles, moins rebelles, mais pendant ce temps, souffrent d’une destruction neuronale, de changements de conduite, de modifications hormonales, d’une série d'effets illimités qui peuvent aller jusqu'au décès.


Dominer, tel est le maître-mot. En effet Pundik ne voit pas seulement dans ce phénomène un simple négoce : « Il y a une volonté de soumettre, où il s’avère que le pouvoir est détenu par ceux qui, depuis toujours, condamnent les autres à la pauvreté ».

- Est une volonté politique ou économique ?

- Il n'y a pas de différences, le pouvoir et l'argent vont ensemble.

- Le fait de doper l'élève turbulent, qui interroge ou qui tracasse, signifierait que l'éducation consiste à apprendre à se taire ?

- Nous allons vers un monde de zombies drogués. Ils veulent des enfants obéissants et soumis, pour qu'ensuite, une fois devenus grands, ils soient capables d'obéir aux ordres et, ainsi peut-être, d’avaliser tranquillement une dictature. Apparemment, les plus rebelles sont très préoccupants.



1 Note de la traductrice : Le méthylphénidate ou MPH, est un médicament psychotrope de la classe des phényléthylamines agissant comme la cocaïne. On le retrouve dans différents médicaments, dont Ritalin® (Ritalina®, Rilatine®, Ritalin LA®), Concerta LP®, Attenta®, Metadate®, Methylin®, Penid® et Rubifen®.

2 Note de la traductrice : Ces produits sont aussi fréquemment prescrits en Colombie, Amérique latine.

samedi 17 mai 2008

Bambins américains au pilori à cause de gestes intimes non désirés

Le Petit Randy Castro, 6 ans n’a certainement jamais entendu parlé de « relations intimes non désirées », il a toutefois été cloué au pilori par le personnel enseignant de son école dans l’état du Maryland en tant que délinquant sexuel parce que, dans la cour de récré, il a donné une tape sur le derrière d’une petite fille. Pire encore, l’école a signalé le cas à la police et le gamin est maintenant fiché comme auteur de relations sexuelles non désirées.

Une tête contre une poitrine

Castro n’est pas la plus jeune victime de la moralité sexuelle exceptionnellement dure aux USA.
D’après le Washington Post, la conséquence de la tolérance zéro consiste à débusquer tout comportement sexuel déviant y compris dans les écoles maternelles. C’est ce qui pose problème pour les personnes qui ont un jour lu Freud: selon ce psyhciatre viennois, chaque enfant est un pervers polymorphe.

Ainsi, au Texas, un petit garçon ayant entouré sa puéricultrice de ses petits bras et ayant posé sa tête contre sa poitrine a été suspendu temporairement du jardin d’enfant. La femme se sentait « sexuellement agressée » pour ce petiot.

Dans l’Ohio , c’est un garçonnet de 6 ans qui a été à la une des journaux. Il était dans son bain quand il a entendu son bus arriver. Il se dépêcha – encore nu – de courir dehors pour demander au chauffeur s’il voulait bien l’attendre. Le gamin fut ensuite banni de l’école parce qu’aux USA, même les enfants ne peuvent aller nus sur la voie publique.

Délinquant sexuel

Randy Castro dût lui aussi rester un temps à la maison. Sa mère, enseignante elle-même, fut choquée par le fait qu’elle ne fut mise au courant de l’événement qu’après l’intervention de la police. Elle ne peut croire au fait que son fils, avec ses six printemps, sera considéré durant sa vie durant comme délinquant sexuel. Elle lutte maintenant pour que l’acte juridique soit supprimé. Or, même les parents de la petite fille qui a reçu une petite tape sur le derrière trouvent la réaction exagérée.

Et même punissable

“J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de cas de ce genre” dit Ronald Stephen, directeur du Centre National de la Sécurité à l’Ecole de Californie. Les chiffres lui donnent raison. Ainsi les autorités scolaires de l’état de Virginie notent pour l’année passée 255 cas de relations sexuelles non désirées dans l’enseignement de base. Dans l’état du Maryland, 166 enfants ont ainsi été enregistrés dont 16 à l’école maternelle et 22 en première primaire.


« La loi oblige les éducateurs à agir, à prendre des mesures », explique Stephens pour justifier la rigueur des profs. « S’ils ne réagissent pas en cas de relations sexuelles non désirées, ils sont eux-mêmes punissables. » De toutes façons la limite entre l’obligation d’imposer une discipline et la criminalisation est très ténue. Selon Stephen , il est évidemment difficile pour un prof de faire la différence entre un comportement audacieux et une agression sexuelle calculée. (dpa/gb)

Source: La Presse Internationale; article repris sur le site Demorgen Online 06/05/08 15h27. Traduction : Joëlle Hallet et altri.

mercredi 7 mai 2008

Norme psychiatrique en vue, par Roland Gori

Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie, nous a écrit pour nous dire qu'il soutenait notre combat en Belgique.
Dans le Monde du 3 mai 2008 il a écrit un article que nous vous invitons à découvrir.

On parle de plus en plus de "santé mentale", de moins en moins de "psychiatrie". Où nous mènera, demain, cette tendance ?

Nous sommes entrés dans l'ère d'une psychiatrie postmoderne, qui veut allouer, sous le terme de "santé mentale", une dimension médicale et scientifique à la psychiatrie. Jusqu'à présent, cette discipline s'intéressait à la souffrance psychique des individus, avec le souci d'une description fine de leurs symptômes, au cas par cas. Depuis l'avènement du concept de santé mentale, émerge une conception épidémiologique de la psychiatrie, centrée sur le dépistage le plus étendu possible des anomalies de comportement. Dès lors, il n'est plus besoin de s'interroger sur les conditions tragiques de l'existence, sur l'angoisse, la culpabilité, la honte ou la faute ; il suffit de prendre les choses au ras du comportement des individus et de tenter de les réadapter si besoin.

Quel a été l'opérateur de ce changement ?

Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual), sorte de catalogue et de recensement des troubles du comportement créé par la psychiatrie américaine. [Lire la suite sur le site du Journal le monde]