mardi 29 avril 2008
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mercredi 23 avril 2008
Rapport INSERM sur le trouble des conduites
La question se pose donc de savoir comment se situe le trouble des conduites au sein du phénomène social qu’est la délinquance. Le concept de délinquance est un concept légal dont les limites dépendent en grande partie des changements dans
les pratiques policières ou judiciaires. L’approche clinique qui est choisie dans cette expertise ne traite pas de la délinquance même si le comportement antisocial qui caractérise le trouble des conduites peut signifier acte de délinquance. La manière la plus légitime d’opérer une liaison entre le trouble des conduites et la délinquance est de considérer ce trouble comme un facteur de risque de délinquance qui peut jouer en complémentarité avec d’autres facteurs. Cependant, tout adolescent coupable selon la loi d’actes de violence ou de vandalisme n’est pas nécessairement atteint d’un trouble des conduites.
L’abord clinique du trouble évolue en fonction des recherches scientifiques dans le domaine de la santé mentale. Il y a peu de temps encore, les psychiatres considéraient le trouble des conduites comme un trouble mental difficile voire impossible à traiter. Bien que de nombreuses questions demeurent à propos de sa définition, de son étiologie, des facteurs de risques, des mécanismes sous-tendant sa survenue, il est aujourd’hui possible d’envisager sa prise en charge dans le cadre d’une pratique clinique mieux définie et pluridisciplinaire .
Afin de compléter l’expertise collective sur les troubles mentaux publiée en 2002, la Canam (Caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes) a sollicité l’Inserm pour une analyse approfondie des connaissances sur le trouble des conduites chez l’enfant avec l’objectif d’en améliorer le dépistage, la prévention et la prise en charge mais aussi d’identifier les recherches nécessaires à une meilleure compréhension des facteurs étiologiques et des mécanismes sous-tendant l’expression de ce trouble.
Lire la suite de l'avant propos de ce rapport en le téléchargeant ici
Préface d'Albert Jacquard
Préface du livre du Collectif "Pas de zéro de conduite pour l'enfant de trois ans"
Notre société commet une lourde faute lorsqu'elle se laisse aller aux idées toutes
faites, acceptées comme des évidences et véhiculées sans la moindre remise en
cause.
Le consensus, comme l'on dit aujourd'hui, le plus évident concerne la sécurité.
Les citoyens, si l'on en croit les sondages, ne penseraient qu'à ça. En fait il s'agit
de l'équilibre entre l'excès d'ordre et l'excès de désordre, équilibre constamment
instable et pour lequel il n'y a pas de recette miracle. Actuellement c'est plutôt
l'ordre qui a bonne presse et cette obsession conduit à des initiatives qui peuvent
se révéler terriblement dangereuses.
Tel est le cas du projet de loi sur la prévention de la délinquance qui s'appuie,
notamment, sur un rapport d'expertise de I'INSERM sur le trouble des conduites
chez l'enfant. Celui-ci préconise de détecter le plus tôt possible chez les enfants
leur tendance à entreprendre un parcours qui les mènera à la délinquance. Une
fois cette détection effectuée, les individus à risque (on n'ose pas encore dire les «
coupables ») recevront les traitements médicaux voulus pour leur éviter cette
déviance.
Ceux qui ont lu le célèbre roman d'Aldous Huxley Le meilleur des mondes
comprendront que la fiction de cet auteur risque d'être prochainement dépassée
par la réalité : une société où chacun sera défini, catalogué, mis aux normes. Où
le concept même de personne autonome capable d'exercer sa liberté aura
disparu.
Cette résurgence de vieilles théories déterministes du comportement me rappelle
les querelles du début des années 1980 à propos du problème de l'inné et de
l'acquis, c'est-à-dire, en employant des mots pédants, le problème de la
prédestination de l'aventure de chaque humain. Pour donner un aspect
scientifique à leur théorie, les innéistes exhibaient des statistiques montrant que
la connaissance des caractéristiques d'un enfant de 5 ans permettait de prévoir ce
qu'il serait à 18 ans. Un pédopsychiatre en concluait que les jeunes élèves dont le
Ql était inférieur à 120 ne pourraient pas dépasser le niveau du bac et préconisait
de les orienter vers les filières courtes, ce qui leur éviterait un échec et
désencombrerait les lycées.
Le raisonnement semble rigoureux ; il convainc, et pourtant il est fondé sur une
erreur logique. Elle consiste à croire à la présence d'une causalité là où il y a
seulement une corrélation. Illustrons cela par un exemple.
Posez aux gens que vous rencontrez deux questions un peu indiscrètes : combien
payez-vous de loyer ? Combien de jours avez-vous passés aux sports d'hiver ?
Rassemblez toutes les réponses. Vous constaterez très probablement que les
habitants des beaux quartiers, dont le loyer est élevé, sont restés à la montagne
plus longtemps que ceux des quartiers des banlieues. Les deux variables :
montant du loyer et durée des vacances de neige sont étroitement corrélées. Fautil
en conclure qu'une augmentation des loyers des HLM favoriserait de plus
longues vacances pour leurs locataires ? Évidemment non ; la corrélation ne
signifie pas que l'une des variables est liée à l'autre par un lien causal direct,
simplement qu'elles sont toutes deux les conséquences d'une cause commune, ici
le revenu mensuel.
Revenons à l'expertise de I'WSERM ; elle montre peut-être que les enfants qui
sont, à l'école maternelle, indociles peu contrôlés, agressifs, se retrouvent quinze
années plus tard parmi les délinquants, mais cela ne signifie nullement que la
cause de cette délinquance est à chercher en eux-mêmes, qu'elle est la
conséquence de leur nature, et que des traitements médicaux stimulants ou
régulateurs doivent leur être imposés. Cette correlation peut être le résultat d'une
multitude de causes dont la plupart font partie de leur aventure familiale ou
sociale et n'ont rien à voir avec leur nature.
Mais surtout cette tentative de définition de la personnalité des enfants dès leur
plus jeune âge constitue un véritable enfermement; ils seront définitivement
catalogués, devenus des objets décrits par le premier psy qu'ils auront eu la
malchance de rencontre à l'école maternelle. À la limite on retrouve dans cette
recherche la tentative de voir en chacun des humains le simple aboutissement des
informations qu'il a reçues lors de sa conception. Cette hypothèse du tout
génétique est à l'opposé du regard des généticiens qui sont conscients de la
pauvreté de cette dotation initiale ; elle ne comporte que quelques dizaines de
milliers de gènes alors que la description du système nerveux central nécessite un
nombre d'informations des milliers de fois plus grand. Pour l'essentiel, des
informations qui ont été accumulées tout au long du processus qui s'est déroulé à
partir de la conception et qui ne s'achève qu'avec leur vie.
N'oublions pas qu'un être humain est en perpétuel devenir ; l'enfermer dans une
définition, qu'elle soit formulée à l'école maternelle ou plus tard, c'est trahir sa
liberté de devenir celui qu'il choisit d'être.
Parution chez Erès d'un ouvrage du collectif "Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans"
Les actes du colloques en France - juin 2006
En septembre 2005, l’Inserm a publié une expertise collective sur « le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent ». Cette expertise a suscité de nombreuses réactions. Le journal Le Monde dans son édition du 23 septembre 2005 titrait « Le trouble des conduites, concept psychiatrique discuté ». Trois pédopsychiatres et une psychologue spécialistes de la petite enfance réagiront très vite dans une tribune « L’Inserm sème le trouble »dans le même journal le 4 octobre 2005. C’était le début d’une controverse. Le président de la Société Française de Santé Publique propose également à la même époque une tribune au Monde, qui sera acceptée mais jamais publiée. Elle sera adressée au directeur de l’Inserm sous forme de lettre ouverte. Fin janvier 2006, des professionnels de santé de la petite enfance décident de lancer une pétition sous l’intitulé « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans ». Les propositions de dépistage et de prévention du trouble des conduites et le projet de Loi de prévention de la délinquance qui s’appuie en partie sur les conclusions de cette expertise les inquiètent. Cette pétition est signée en moins de 6 mois par près de 200 000 personnes. Les initiateurs de la pétition qui souhaitent un débat de société et un débat scientifique publient en juin 2006 un livre aux éditions Eres : « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » qui rencontre un vif succès. Ce livre associe des professionnels de tout milieu : pédopsychiatres, psychologues de la petite enfance, sociologues, pédiatres, médecins de PMI, de santé publique, professeur de sciences de l’éducation, de psychopathologie, chercheurs… Une journée de réflexion est organisée le 17 juin 2006 sur la question du dépistage et de la prévention dans la sphère psychique chez l’enfant; cette journée est l’occasion d’un débat scientifique et citoyen sur les préventions médicale, sociale et psychique et la protection des enfants. Ce sont les actes de cette journée qui sont proposés dans cet ouvrage. Une telle mobilisation sur un sujet de prévention montre que les citoyens souhaitent participer aux décisions qui les concernent dans une logique de démocratie sanitaire.
Bon de commande des actes de ce colloque
Le site du collectif "pas de zéro de conduite"
dimanche 20 avril 2008
Appel pour le meeting
Touche pas à ma conduite,
écoute d’abord ce qu’elle tait
Appel des praticiens de l’écoute
Meeting à Bruxelles le 14 juin 2008 contre la bio-domestication de l’humain
> « Trouble de la conduite » : un diagnostic troublant qui fait l’amalgame entre maladie psychique et comportement déviant
> Les impasses d’une hyper-médication de la souffrance psychique chez l’enfant
> Les dérives d’un dépistage précoce de la délinquance
> Non à l’homme machine et au tout quantifiable.
Lili vient d’avoir 18 ans. Après trois mois d’errance sans que ses parents adoptifs ne sachent où elle se trouve, elle est interpellée par la police et passe en comparution immédiate pour avoir agressé une dame dans la rue. Un an de prison ferme. Trois ans plus tôt, elle avait rencontré un psy à qui elle avait confié entendre dans sa tête sa mère biologique hurler « à l’aide ». Elle s’enfuyait alors de l’école, pour la rejoindre, au hasard des routes… Le psy préconise une prise en charge spécialisée qui est refusée, la dimension hallucinatoire n’est pas reconnue et les difficultés de Lili sont attribuées à sa conduite opposante. En prison aujourd’hui, elle a cherché à mettre fin à ses jours. C’est dans ce pays, où vient d’être mise en place la « comparution immédiate », qu’un prestigieux institut de recherche, l’INSERM, a produit un rapport sur les « troubles de conduite » qui concluait à l’impérative nécessité d’un dépistage dès trois ans de ce « facteur de délinquance ». 200.000 signatures sont venues de toute la France pour faire opposition.
Chez nous la même étude vient d’être lancée au Conseil Supérieur de la Santé. Aboutira-t-elle aux mêmes conclusions délétères ? Quelle réponse sera apportée à Lili, en Belgique ?
Une recherche vient d’être lancée au Conseil Supérieur de la Santé sur le dit diagnostic de « troubles de la conduite ». Nous souhaitons y contribuer en alertant l’opinion éclairée des dérives qu’une telle notion risque de produire dans les champs éducatifs et psycho-médico-social, dans la culture et tout simplement dans la société en général. C’est pourquoi nous organisons un meeting qui rassemblera professionnels du secteur et acteurs de la vie publique, intellectuels, artistes, politiques, universitaires, enseignants. Il concerne tout citoyen interpellé par l’hyper-médication de l’enfance, la mise sous séquestre de la souffrance psychique et plus largement par le contrôle du plus intime de l’humain. Le réductionisme, en réduisant la psyché à une série de catégories observables et évaluables fait l’impasse sur la complexité de l’être parlant.
« Troubles de la conduite » : dangers, impasses, dérives
La notion anglo-saxonne de conduct disorder est un artefact conceptuel qui homogénéise des situations et des problématiques fort différentes en faisant croire qu’elles auraient une origine commune, essentiellement neuro-biologique. Elle s’inscrit dans une idéologie plus large qui vise à réduire toute souffrance ou malaise d’ordre personnel ou social à une cause strictement biologique ou comportementale, faisant l’impasse sur l’humain comme être parlant. Les promoteurs de cette notion admettent bien évidemment la nécessité d’actions de réforme dans le domaine social et de l’enseignement. Cependant, comme ces actions sont déjà le lot d’autres professionnels et d’autres instances, leur but consiste essentiellement à faire valoir la dimension causale restante, soit celle d’une « prédisposition » dont on pourrait dépister les signes dès la petite enfance. Il serait ainsi possible d’en prévenir les manifestations par un traitement approprié, tant sur le plan comportemental que médicamenteux.
Cet abord, que sous-tend la notion de « trouble de la conduite », permet d’introduire des recommandations de dépistage en laissant supposer par ces préceptes qu’un diagnostic médical précoce de la délinquance – c'est-à-dire du rapport d’un sujet à la Loi ─ serait enfin accessible par des moyens « scientifiques ». Ainsi, l’éducation devient une domestication et le lien parental un pattern de comportement.
Aborder la complexité psychique par le strict biais « comportemental », c’est prendre le risque que les phénomènes personnels, familiaux ou sociaux soient soumis aux idées reçues et aux clichés les plus ségrégatifs. L’abord « comportemental » est largement insuffisant à recouvrir la richesse des données cliniques récoltées par d’autres pratiques, plus largement basées sur des entretiens non standardisés et impliquant la participation active du souffrant. Il ne permet pas de répondre sur le long terme aux défis thérapeutiques que posent les diverses formes contemporaines de rupture ou d’altération du lien social. L’abord « cognitif », s’il est porteur d’espoirs de traitement pour les affections purement neurologiques, présente le leurre d’une investigation neuronale de la pensée humaine qui ne serait ajournée que par l’attente de techniques « d’imagerie mentale » plus performantes. La visée de ce rêve « scientiste » est de pénétrer de façon transparente la psyché de ses contemporains – ce qui ne serait plus de la science mais un retour à l’obscurantisme le plus noir.
Nous nous inquiétons de la tendance, qui se manifeste partout en Europe, d’une standardisation des pratiques issue du modèle réductionniste anglo-saxon, lequel fait fi de la tradition européenne, psycho-dynamique et psychanalytique. Cette tradition, qui ne néglige pas les avancées de la science, s’oppose à tout profilage des jeunes, elle n’écrase pas la différence des problématiques sous une notion stigmatisante et une thérapeutique standardisée mais fait place à l’implication de chacun dans sa parole. Une chance est ainsi donnée à ce qu’une modification intériorisée se produise dans la « conduite » qui fait difficulté et que la souffrance psychique trouve à être apaisée.
Quant au dit comportement hors norme, il y a d'autres voies pour l'aborder que la prévention rigide qui stigmatise toutes les déviances en les éjectant du registre de la souffrance psychique. Ces autres voies fondent le travail quotidien des praticiens de l'écoute. Les dispositifs d’accueil et d’accompagnement existent, il suffit de les développer, des praticiens sont à l’œuvre, il s’agit d’encourager leurs efforts. Le lancement d’une recherche sur les « troubles de la conduite » ne peut, par sa définition même que faire la promotion de thérapeutiques comportementales et médicamenteuses que ce prétendu « trouble » impliquerait. Sauf que cette opération pseudo-scientifique de marketing risque d’avoir des conséquences désastreuses sur la santé publique et l’ordre social. Nous sommes convaincus de l’utilité sociale de l’écoute — une écoute orientée par une formation rigoureuse. Tous ceux qui aujourd’hui confrontent les concepts psycho-dynamiques à l’évolution de la culture et des sciences vérifient leur grande actualité et leur portée pratique.
Devant les pratiques de l’écoute, le scientisme qui s'attaque à la psyché et l’idéologie de l’homme-machine trouveront des adversaires.
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samedi 19 avril 2008
Voici le bébé délinquant, par Gérard Wajcman
(paru dans Le Monde le 04 mars 2006) S'il s'agit de répondre à cette entreprise délétère conduite au nom de la santé mentale, le plus fertile à mes yeux est de lui donner la plus grande publicité possible, c'est-à-dire de la rendre au public, à la "population" qui en est l'objet, en toute ignorance de cause. On y trouve ceci, entre autres : "L'agressivité, l'indocilité et le faible contrôle émotionnel pendant l'enfance ont été décrits comme prédictifs d'un trouble des conduites à l'adolescence." Si ce portrait est susceptible d'inquiéter instantanément nombre de parents, il est toutefois précisé que ces conduites doivent être différenciées de ce qu'on nomme les "conduites normales". Il est en effet entendu que les manifestations telles que les agressions physiques, les mensonges ou les vols d'objets sont relativement fréquentes chez le petit enfant. Elles ne deviennent "anormales" que si elles perdurent au-delà d'un certain âge, que le groupe d'experts a convenu de situer à 4 ans. Sous le petit enfant dit difficile, voici surgir la figure du bébé délinquant. En conséquence de quoi, les experts préconisent de procéder à un dépistage médical systématique de chaque enfant dès 36 mois. De là, la recommandation que tous les professionnels de santé prennent connaissance des critères définissant le trouble de conduite, ce qui concerne les services médicaux de l'enfance et l'école, dès la maternelle, voire la crèche. Se dessine ainsi une entreprise de médicalisation de l'enfance supposant que chaque enfant sera désormais accompagné au long de sa vie et de son parcours scolaire d'un dossier médical contenant des informations sur ses "conduites" et ses "comportements". Bien qu'il soit accessible en ligne (où j'invite à le lire : www.inserm.fr), en vérité ce rapport ne suppose pas en lui-même être connu par ceux qu'il vise. Il est supposé même qu'il ne le sera pas, qu'il ne peut pas l'être. La relation de savoir implique les sujets, qui pensent, et donc qui sont, et non "la population", qui est un pur objet statistique, sans yeux, sans oreilles et sans bouche. En vérité, les experts parlent aux experts. Ils ne parlent qu'à eux. On mesure bien que les rédacteurs du rapport de l'Inserm ne supposent pas un instant qu'il soit lu par la "population". A tout autre qu'aux professionnels de la profession, pour parler comme Godard, ce rapport paraîtra simplement effrayant. Même des personnes obnubilées par le discours sécuritaire ne pourront pas le lire sans frémir, car il les met elles-mêmes et leurs enfants sous surveillance, dans une suspicion généralisée qui réunit futures victimes et futurs criminels dans le même ensemble de la "population". Le rapport de l'Inserm raisonne très démocratiquement en supposant que tout le monde peut être coupable. La "population" comme telle est à risque, elle est une classe dangereuse potentielle. Et c'est pourquoi elle doit être mise sous surveillance médicale, dans son ensemble et au plus tôt ; et aussi éduquée au plus tôt, afin de permettre à tout parent de reconnaître dans son petit enfant désobéissant et agressif de moins de 3 ans le petit casseur qui sommeille ou qui s'éveille. Mais il faut encore comprendre que les parents appelés à surveiller leurs enfants seront eux-mêmes mis sous surveillance par les médecins, ceux-ci étant seuls habilités à repérer l'enfant dit difficile. Avec la médicalisation généralisée, le rapport de l'Inserm instille une criminalisation généralisée de la société. Tous coupables - futurs, potentiels ou qui s'ignorent : il importe donc que ce savoir expert ne soit pas su d'eux, c'est-à-dire de nous tous. Alors qu'il concerne et vise le public, dans sa conception même, ce rapport est secret. Dire qu'il est secret pour la "population", c'est dire qu'il n'a qu'une seule adresse : le pouvoir et ses divers agents. Si chaque innocent est un coupable potentiel, chaque professionnel de la santé et de l'éducation devient un agent potentiel du pouvoir, mobilisé à ce titre, hors de tout consentement, au nom simplement de la science - qui ne peut vouloir que notre bien. Cela impose deux choses. D'une part, si tout professionnel de santé est tenu pour un agent de surveillance, il importe hautement qu'il ait une connaissance du rapport et de sa portée. Au moins aura-t-il ainsi la liberté de se déterminer. C'est ce qui se passe : qu'on aille voir l'appel de professionnels éclairés (www.pasde0deconduite.ras.eu.org ). L'autre conséquence, c'est donc qu'il importe hautement de dévoiler à la "population" non professionnelle ce secret qu'elle est sous le regard des experts médicaux, psychiatres et psychologues, mise sous contrôle, évaluée. "Il n'est pas indifférent que le peuple soit éclairé", écrivait Montesquieu dans le prologue de L'Esprit des lois. Pas la population, mais le peuple, chacun de nous en personne, des sujets qui parlent, qui pensent et donc qui sont. S'adresser au peuple, c'est s'adresser à notre liberté. C'est là une façon de restaurer les sujets abolis. Ce qui était jadis un attribut divin, l'omnivoyance, le pouvoir de tout voir sans être vu, est aujourd'hui un attribut du pouvoir séculier, via la science et la technique. Nous sommes entrés dans un temps d'illimitation du regard du maître. C'est le temps de l'instauration d'un homme sans ombre, d'un sujet transparent corps et âme, dès sa naissance, voire avant si possible. L'intime, qui se définissait comme un territoire secret, clos aux regards, est aujourd'hui fouillé, sondé, expertisé sous toutes ses coutures. Le rapport de l'Inserm entre entièrement dans ce grand dispositif intrusif de mise sous contrôle de l'intime. C'est pourquoi je tiens qu'il importe de le faire voir, d'exposer ce regard aux regards. De là, enfin, on comprend pourquoi ce rapport de l'Inserm sur les "troubles" des enfants est une entreprise d'effacement de la psychanalyse. Il ne saurait en être autrement. Transformer tout symptôme en trouble de conduite, c'est élever la souffrance en menace et la surdité en moyen d'action ; c'est en cela évacuer le sujet. La psychanalyse est le discours des sujets, à l'écoute des sujets, qui pensent et donc qui sont, qui souffrent, qui parlent ou qui n'arrivent pas à parler. Effacer l'un, c'est effacer l'autre. Là encore, il importe de montrer cet effacement, afin que chacun puisse mesurer les enjeux véritables de ce qui se dit ici et là aujourd'hui sur la psychanalyse. La psychanalyse n'est pas la cause des psychanalystes, elle est la cause des sujets. A chacun de voir. Gérard Wajcman est écrivain, psychanalyste et historien d'art. |